Le Nobel de l’Economie est attribué à … une femme ! Quelques considérations en lien avec l’Egalite femme/homme

S’il est l’un des grands principes portés par les valeurs humanistes de l’ESSEC, l’égalité entre les genres est un engagement historique de l’ESSEC, qui s’inscrit dans une démarche plus globale de diversité et d’inclusion. Ces dix dernières années, l’engagement de l’ESSEC en matière d’égalité entre les genres n’a cessé de s’enrichir et de se déployer : notre démarche s’est institutionnalisée et repose désormais sur un Gender Equality Plan, qui permet à l’école d’envisager des actions sur un horizon à trois ans. Depuis 2017, la date symbolique du 8 mars – Journée internationale des droits des femmes – est l’occasion de valoriser cet engagement autour des Gender Equality Days ESSEC, mise en mouvement de la communauté ESSEC autour des inégalités de genres.

Claudia Goldin « Nobel » d’économie  – extraits à ma manière d’un article d’Isabelle Guérin publié dans The Conversation, le 12 octobre 2023

Le « prix Nobel » d’Economie, a donc été attribué à Claudia Goldin (économiste américaine connue pour ses travaux sur la participation des femmes au marché du travail) pour avoir mis en lumière les « principaux facteurs de différences entre les hommes et les femmes sur le marché du travail ».

L’économie, en tant que discipline, est connue pour son sexisme, à la fois dans son organisation interne et dans sa manière de comprendre et d’influencer le monde. Après Elinor Ostrom en 2009 (économiste américaine ayant travaillé sur la question de la gouvernance et des biens communs)  et Esther Duflo (économiste franco-américaine, professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT), reconnue pour son approche novatrice du développement) en 2019, Claudia Goldin est la troisième à être honorée  sur 51 lauréats depuis la création  du prix en 1968. 

Ce qui est à noter est que le prix est attribué à des travaux sur les inégalités de #genre qui d’habitude ne sont pas estimés prioritaires, ni en #Economie, ni en #Management ou encore en #Droit ! 

Claudia Goldin a 77 ans, elle est professeure au prestigieux département d’Economie d’Harvard, elle a été la première femme titularisée, en 1989. 

Dans ses travaux , elle combine une approche néoclassique de l’économie et une perspective historique. Voici, un aperçu de deux résultats saillants de ses travaux par ailleurs importants et prolifiques :

  1. Elle théorise la « courbe en U » de l’emploi féminin en fonction des degrés de « développement » des pays et en propose une interprétation. Cette courbe montre que l’emploi féminin est élevé dans les économies de subsistance et décline lorsque les économies commencent à se monétariser et se marchandiser. Ces pays offrent alors des emplois manuels, et stigmatisés pour les femmes ; puis se développent parallèlement lorsque les femmes ont accès à des emplois « à col blanc ». La transformation des normes familiales et l’accès à la pilule contraceptive amorcent une autre étape. Les jeunes femmes puis les futures mères peuvent désormais maîtriser leur désir d’enfant (ou non) et s’engager dans des études donc accéder à  des carrières . 
  1. Le second sujet porte sur la notion de « travail cupide » : il s’agit là de mettre en lumière les inégalités de salaire entre femmes et hommes pour l’exercice d’une même fonction. « À l’issue de travaux économétriques visant à isoler différents facteurs explicatifs, elle avance que les inégalités relèvent moins de discrimination que du « travail cupide », qui consiste à exiger des travailleurs une grande flexibilité horaire sur des postes rémunérés de manière disproportionnée, laquelle pénalise les femmes du fait de leurs responsabilités domestiques. » (I.Guerin). C’est ainsi qu’elle explique la persistance de fortes inégalités de salaires femme-homme, notamment dans les métiers hautement diplômés.
  1. Claudia Goldin s’est engagée pour l’égalité dans sa propre profession, en promouvant des programmes dédiés incitant les jeunes femmes à étudier l’économie. 

La Prix Nobel est fidèle à une approche néoclassique des phénomènes économiques, considérant l’emploi comme un choix et un calcul économique rationnel individuel, influencé par une série de contraintes, d’incitations ou de chocs externes, dont l’origine ne mérite pas d’être questionnée. Or, la diversité de régimes de genre, des droits sociaux, des questions fiscales, des réglementations relatives aux temps de travail ou encore les normes de masculinité, féminité et parentalité, enfin, l’arbitrage emploi/soin aux enfants est un processus complexe et ambivalent où s’entremêlent des aspirations, des contraintes multiples, des affects, variables selon le lieux, le contexte et les groupes sociaux. 

En cantonnant l’économie (comme réalité) et la richesse à la production de biens et services échangeables sur un marché, le savoir économique dominant a entériné et justifié la dévalorisation d’activités, de personnes et de régions du monde, supposées improductives :  soin et activités de subsistance assumées par des femmes. En France, c’est bien cette dévalorisation qui explique une partie du décalage persistant entre les revenus moyens des femmes et des hommes, la persistance de secteurs féminisés, sous-payés, (et souvent désormais de plus racisés), pourtant fondamentaux pour la survie de nos sociétés. Cette hiérarchisation est entérinée dans le droit du travail.

2. Compléments tirés d’une étude réalisée à LEGRAND : « Dix mythes à chasser à propos de l’égalité de genre au travail « .

LES FEMMES ONT MOINS D’AMBITION PROFESSIONNELLE ET PLUS D’INTÉRÊT POUR LEUR VIE FAMILIALE.

Cette affirmation qui renvoie les femmes à un stéréotype archaïque (la maison, les enfants…) fait culpabiliser celles qui voudraient réussir également leur carrière.

L’ambition des femmes est limitée par les stéréotypes qu’elles ont intériorisés et (surtout) par les stéréotypes intériorisés par ceux et celles qui décident de leur sort. D’ailleurs, il est démontré que ce phénomène n’a aucun rapport avec le genre. Ce phénomène est aggravé par le fait que beaucoup trop de managers décident d’écarter les femmes de certains postes au motif qu’elles ont des enfants en bas âge ou qu’elles en auront bientôt (concept de « suspicion de maternité »).

Si une femme revendique le fait d’être ambitieuse, elle est souvent pénalisée, considérée comme « arriviste » ou « bossy ». La crainte de cette mauvaise réputation en freine plus d’une, d’où une perte de talent pour l’entreprise.
L’université de Yale a médiatisé une expérience sur ce type de biais. On a montré des vidéos dans lesquelles un candidat et une candidate tenaient le même discours au mot près, sachant que leur CV était identique. Les personnes ayant vu l’homme ont trouvé qu’il ferait un excellent candidat alors que ceux qui avaient entendu la candidate la trouvaient égoïste, trop sûre d’elle et orgueilleuse. Et donc qu’elle ne correspondait pas au « type de personne que l’on voudrait embaucher ». Il est important de noter que le panel était composé d’hommes et de femmes qui portaient le même jugement très biaisé.
Toutes les études montrent qu’il existe une corrélation négative entre le pouvoir et les femmes dans l’expression des valeurs de notre culture.

Sheryl Sandberg, ex COO de Facebook, écrit : « Si une femme est compétente, elle ne paraît pas suffisamment sympathique. Si une femme est considérée comme sympathique, elle est d’avantage perçue comme sympathique que compétente. »

Les stéréotypes genrés poussent aussi la plupart des hommes et des femmes à avoir une vision différente de l’ambition. Pour elles, faire carrière est d’abord une question de maitrise de son temps, puis exercer un métier que l’on aime et enfin, se réaliser. Et pour les hommes, c’est beaucoup plus souvent le pouvoir, l’argent, la visibilité . C’est ce que la société attend d’eux. Mais cela évolue rapidement et il va falloir tenir compte de ces nouvelles attentes masculines également. La première raison qui motive les femmes à quitter leur entreprise est la perception qu’elles ne sont pas écoutées et que leurs talents ne sont pas assez valorisés.

Voir à ce sujet les travaux menés « le pas de côté des femmes dirigeantes » au sein du Women Board Ready ESSEC pour le Centre Européeen de Droit et Economie -ESSEC