Mixité dans les instances de direction

par Lise Bachmann | Fév 16, 2021 | Interview viviane de beaufort womaccelerator.com

Féminisation des Boards ou prisme d’Egalité plus large de notre société et de notre économie? Quelques idées

En janvier 2017, je tentais dans le JSS un 1er bilan de la loi quota ou Zimmermann/Copé en questionnant sur ce que la mixité pourrait changer au sein des Conseils d’Administration et de Surveillance, voire au-delà dans les Codir/Comex et interrogeait sur l’effet d’entraînement sur la politique d’égalité des entreprises?

En 2021 en pleine pandémie et bouleversement économique, les interrogations sur la place des parties prenantes, la mission de la société ou la place des administrateurs salariés au Conseils sont autant d’éléments de gouvernance qui viennent abonder cette perspective. Et la question posée de la place des femmes au sein des CA est désormais étendue aux espaces de dirigeance pour des raisons d’égalité mais également de « business case » car les femmes doivent pouvoir être agents de changement, étant moins tolérantes aux petits arrangement entre amis et souvent porteuses d’une vision RSE engagée. On a fêté les 10 ans de cette loi qui a changé la donne mais reste à compléter.

Alors que des voix s’élèvent pour des quotas sur les CODIR/COMEX et autres questions complexes, il est important de conserver une vision globale tout en allant dans le détail car…Le diable est dans les détails.

L’effet incontestablement positif d’un quota sur les Conseils d’administration en France mais des incomplétudes …

Comme le dit @Floriane de Saint Pierre disposer de chiffres permet de situer les questions, se fixer des objectifs de progression.

Or, nous faisons face à un problème de data en deçà de la cote. Les rares études menées (Karima Bouaiss et Viviane de Beaufort – CEDE 2015 et AFECA Télescop 2017 démontrent le besoin. A cet égard parmi les pistes proposées, je retiens celles-ci :

  • Enrichissement de l’Index PENICAUD avec un reporting sur la composition des CA valorisé avec le système de points (préconisation reprise par le HCE le 26 janvier 2021
  • Trois propositions de l’AFECA : obligation déclarative annuelle au Registre national du commerce et des sociétés de la composition de leurs organes de gouvernance et de dirigeance avec le dépôt des comptes annuels – Créer un indice de parité dans la gouvernance calculé à partir de cette déclaration qui devient un élément de la fiche d’identité d’une entreprise –  Instaurer un contrôle de ces informations par les greffes des Tribunaux de Commerce

Même au cœur du SBF120 des espaces demeurent à conquérir

  • Quid de l’influence des administratrices nommées? Elle est à mesurer objectivement en fonction du nombre de présidences dans les comités, etc. Un ou une nouvelle nommée fait ses classes au sein d’un Conseil, ce qu’il faut vérifier c’est si après quelques années, elles prennent les postes à responsabilités au sein des Comités…
  • Pourquoi ne pas imposer la mixité du duo d’administrateur salarié lorsqu’un 2ème administrateur.E est prévu dans les Conseils (+ de 8 membres) ?
  • Etendre le périmètre du quota sur les conseils des filiales importantes des têtes de groupe ?
  • Limiter le cumul des mandats et la durée pour ouvrir les possibilités de nominations? (Cette question peu soulevée est un verrou majeur de mixité et de diversité car les nouvelles nominations concernent souvent de nouveaux profils de compétences et des personnes plus jeunes).
  • Focus sur les SANCTIONS : la sanction relative aux rémunérations peut jouer sur les grandes entreprises mais pas sur les plus petites où les rémunérations sont inexistantes ou très faibles. La nullité des décisions du conseil (pour le moment hypothèse d’école puisque manque de data crée un risque juridique si ce principe n’est pas assorti de cas de force majeure (décès, démission, santé …) car il est difficile de remplacer un membre de conseil – Si l’entreprise n’est pas en compliance pour l’AG n+1 alors il la sanction aura vocation à s’appliquer.

Et quels OUTILS pour accélérer la mixité des espaces de dirigeance

S’il faut des quotas : fixons-les avec progressivité et souplesse

Il appartient à l’entreprise d’identifier elle-même ce qu’est son organe de direction ce qui évite le problème de la définition puisque les pratiques sont variables. Ensuite, le périmètre peut être différencié entre des entreprises concernées par un quota légal et des objectifs pour le hors cote. Imaginons un quota obligatoire sur la cote en distinguant à nouveau entre le périmètre du SBF120 et la cote en deçà avec une exigence variable selon la taille de l’organe de direction : > 5 membres : 20% puis 1/3 ou 40 et < 5 membres : 1 femme parmi les 5 (pour comparaison en Allemagne 2000 salariés) et un quota appliqué avec une progressivité dans le temps (3/6 ans).

Le mouvement de féminisation des espaces de dirigeance a été tardif mais il est entamé! Autres OUTILS EGALITAIRES ?

L’éga-conditionnalité ( HCE)

Intégrer la mixité comme critère préférentiel d’une offre à valeur égale pour l’obtention des marchés publics nationaux et régionaux et locaux et l’octroi de financements publics (BPI) et d’investissements des fonds institutionnels (CDC).

La piste de l’enrichissement de l’Index Penicaud

Le reporting est un levier: communiquer sur la part des femmes dans les instances de direction ou bien la part des femmes dans les 10% des cadres dirigeants avec une valorisation importante en points qui peut être progressive dans le temps. Il serait possible de prévoir que si en 2024 les progrès ne sont pas sensibles –  la loi étendra le quota légal réservé aux entreprises cotées.

Des objectifs de place

  • L’AFEP a pris position ainsi que le Code Afep-Medef  le 29 janvier 2019 – Chap. 7 POLITIQUE DE MIXITE FEMMES/HOMMES AU SEIN DES INSTANCES DIRIGEANTES

La pression des Investisseurs institutionnels

Les fonds de pension sont de plus en plus sensibles à cette question et font pression refusant d’investir dans des groupes non paritaires (ex: le fonds norvégien, Calpers, Blackrock…), d’autres demandent une progression notable 30% (CDC-France). Dès lors le sujet est de plus en plus régulièrement évoqué en AG.

Les entreprises recherchent des Talents féminins pour leur VA propre c’est avant tout un Business case. Recruter des femmes et des hommes permet d’élargir la taille du marché du travail et donc d’accroître la probabilité de recruter des ressources humaines de meilleure qualité et plus compétentes.

Et puis, comme tout nouvel entrant, les femmes ont des attentes importantes. Les travaux Gender and Governance menés en 2011 au CEDE[10] et vérifiés maintes fois depuis en divers cercles et au sein du programme Women Board Ready – ESSEC[11], puisent leur source dans la littérature académique concernant les rapports minoritaire/majoritairedans les universités aux USA: un minoritaire apprend l’écoute, développe une capacité de coopération, de médiation et a une capacité d’anticipation parce qu’il a appris à « écouter » (… le majoritaire). Le complexe de l’Imposteur le conduit à être assidu et à s’emparer des sujets. Son potentiel passé de discriminé/e le conduit à s’opposer à ce qui est non conforme à ses convictions, et à être attaché/e aux règles.

Soutenir des INDIVIDUES DANS LEUR CARRIERE

La nécessité d’adopter une démarche globale sur les freins récurrents à l’évolution de carrière des femmes est évidente. Imposer des quotas c’est demeurer dans l’incantatoire si on n’accompagne :

  • Faciliter l’accès des femmes aux formations certifiantes et diplômantes executive pour créer un effet de rattrapage de carrière ; insister sur les soft skills : prévoir des bourses et accepter le temps de formation
  • Déployer le Mentoring et le Coaching et les Réseaux
  • Recruter plus de femmes dans les secteurs masculins et encourager par tous les moyens la mixité des filières

Pour finir je défendrai l’ouverture à la DIVERSITE au-delà de la mixité. La reproduction des parcours est en France avec le syndrome du miroir qui crée des castes, une réalité et un problème !

lire: Michel FERRARY, Observatoire Skema de la féminisation des entreprises 2019