2025, année charnière pour les femmes dans le numérique

Parité et mixité : les enjeux technologiques et sécuritaires

Dans l’article : « Enjeux technologiques et sécuritaires : 2025, une année charnière pour les femmes« , Juliette Bachschmidt et Marie Cohignac, chercheuses à la Fondation Robert Schuman*, proposent une analyse des défis que rencontrent les femmes à l’heure de la quatrième révolution industrielle et dans le secteur de la défense.

Et si la 4ᵉ révolution industrielle se faisait sans les femmes ? Entre stagnation des indicateurs de parité en politique, sous-représentation criante dans l’intelligence artificielle, et lente féminisation du secteur de la défense, les autrices posent une question essentielle : l’Europe peut-elle rester en tête du progrès sans la moitié de la population?

Extraits :

le rôle des femmes dans les grandes transformations économiques et sociales est fondamental. Du travail des ouvrières du textile lors de la Révolution industrielle du XIXème siècle à leur engagement dans des secteurs comme ceux de la technologie, du numérique et de la défense, leur participation a été un moteur essentiel du progrès et de l’innovation.

A l’ère du numérique, l’intelligence artificielle (IA) occupe une place centrale dans le fonctionnement de nos sociétés. Or, le développement des IA soulève des défis spécifiques en matière d’égalité des genres, notamment en raison des risques de reproduction et d’amplification des stéréotypes sexistes à grande échelle, perpétuant les discriminations fondées sur le genre, déjà répandues au sein de nos sociétés. 

La faible représentation des femmes dans les filières académiques a comme conséquence une une présence féminine limitée dans le domaine de l’IA, qui plus est, elles se heurtent à un plafond de verre , les cantonnant majoritairement à des postes plus subalternes et rendant l’accès à des fonctions de direction difficile (14 % des postes de cadres supérieurs au sein des entreprises spécialisées dans le domaine de l’IA).

la marginalisation d’un secteur économique en pleine expansion et influence la conception et le développement de ces technologies numériques.

 une étude révèle que sur l’analyse de cent trente-trois systèmes d’intelligence artificielle, 44% présentaient des biais de genre. Ceux-ci résultent de deux problèmes majeurs dans la manière dont ces technologies sont conçues et développées. D’abord, les données utilisées pour entraîner les algorithmes des intelligences artificielles proviennent d’internet et sont largement empreintes de stéréotypes sexistes. Elles servent de base d’apprentissage pour les systèmes d’IA en piochant les informations disponibles sur internet, elles-mêmes reflétant les stéréotypes et préjugés existants et persistants dans notre société. Si les données d’entraînement son biaisées, les systèmes d’IA risquent de les reproduire et de les amplifier, perpétuant des inégalités flagrantes. Par ailleurs, la sous-représentation des femmes dans les équipes de conception et de supervision des intelligences artificielles contribue à la production de biais genrés. De plus, l’absence de diversité dans les équipes de conception et de contrôle limite la détection et la correction de ces biais, faute d’une prise en compte suffisante des pratiques et des points de vue des femmes. Ainsi, les biais algorithmiques discriminatoires se produisent lorsque des intelligences artificielles d’apparence objective intègrent les préjugés et stéréotypes de leurs développeurs ou des données utilisées pour leur entraînement. 

L’UNESCO a publié en 2024 un rapport révélant des biais sexistes, homophobes et raciaux dans les modèles de langage d’intelligence artificielle (LLM) tels que GPT-3.5 (OpenAI) et Llama 2 (Meta). Le Conseil de l’Europe démontre que dans les domaines critiques tels que les soins de santé, l’IA peut se concentrer davantage sur les symptômes masculins, entraînant de mauvais diagnostics ou des traitements inadéquats pour les femmes. Autant d’exemples qui démontrent comment l’intelligence artificielle peut répéter et même amplifier les stéréotypes et inégalités entres les femmes et les hommes, ancrés dans nos sociétés. 

L’intelligence artificielle exacerbe aussi les risques de violence liée au genre facilitée par la technologie, notamment avec l’émergence des deepfakes. La grande majorité des « deepfakes »  sont à caractère pornographique et ciblent presque exclusivement les femmes.

Face à la perpétuation des stéréotypes et des discriminations fondées sur le genre par ces technologies, une diversité à tous les niveaux (éducation, emploi, décision etc.) s’impose comme une nécessité absolue pour limiter les effets des biais algorithmiques. Afin que les bénéfices de l’IA profitent à tous, l’enjeu est d’institutionnaliser des cadres de gouvernance inclusifs.

Pour cela, une coopération entre les gouvernements, les entreprises technologiques et la société civile est essentielle pour éliminer les biais inhérents à ces technologies et développer des systèmes d’IA plus respectueux de l’égalité des genres.
En 2021, l’UNESCO, avec la participation et le soutien financier de la Commission européenne, a adressé des recommandations sur l’éthique de l’IA, adoptées à l’unanimité par ses 193 États membres.
La Commission européenne a mis en place :

Le programme d’action « Boussole numérique 2030 », en 2021 qui vise à accroître la présence des femmes dans les métiers du numérique et à promouvoir l’accès équitable aux postes de direction dans les métiers des TIC.

La création du Réseau européen des femmes dans le numérique (EWiD) par la Commission en 2019, encourage l’orientation des femmes et des filles vers les carrières numériques. 
Les programmes DIGITAL Europe  finance des programmes d’éducation et de formation, à destination des femmes, afin de renforcer leurs compétences dans les domaines de l’IA et de l’informatique. 

Prôner la diversité dans le domaine de l’intelligence artificielle devient un enjeu majeur pour la promotion des femmes mais aussi pour l’économie et la compétitivité européennes. En outre, et indépendamment de son potentiel de dynamisation de l’économie, une IA bien conçue et régulée peut constituer un véritable levier d’égalité, offrant de nouvelles opportunités pour réduire les discriminations à l’égard des femmes

L’année 2025 constitue donc une charnière pour que les femmes ne soient pas les oubliées de la 4ème révolution industrielle. L’Histoire ne peut pas s’écrire sans elles. 

À propos de la fondation Robert Schuman

*La Fondation Robert Schuman est un think tank français sur les questions européennes. Le père fondateur » de l’Europe, Robert Schuman, son héritage : nourrir la réflexion sur l’Union européenne, ses politiques, ses institutions et son avenir. La Fondation se distingue par la qualité des Schuman Papers, qui analysent en profondeur les grands enjeux politiques, économiques, technologiques et géopolitiques.