Féminisation des conseils d’administration : beaucoup reste à faire

Harvard Business Review a publié ce 28 août la dernière chronique de Viviane de Beaufort.

http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2016/08/11899-feminisation-des-conseils-dadministration-beaucoup-reste-a-faire/

Malgré les incitations législatives, la part des femmes dans les plus hautes sphères de l’entreprise reste encore réduite. Les sociétés du SPF120 montrent l’exemple, mais il faut poursuivre les efforts. D’autant que les directions ont tout à gagner à compter plus de femmes.

Alors que le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE-fh) vient de publier unguide parité dans les sphères politiques, professionnelles et sociales, il paraît pertinent de creuser la problématique de la mixité dans les conseils d’administration en dehors du périmètre très visible des sociétés du SBF120 dont on nous conte, à raison, les progrès rapides. Chacun sait que la loi Copé-Zimmermann impose un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance d’ici à 2017 pour les sociétés cotées (lire aussi la chronique « Conseil d’administration : les femmes n’attendront pas 2017« ). Il semble moins connu des entreprises que les sociétés non cotées d’un périmètre salarial de 500 salariés (et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires) sont également concernées et que la loi du 4 août 2014 a étendu l’obligation aux sociétés de 250 salariés en fixant cette fois comme délai le 1er janvier 2020 (article L225-18-1, article 5 de la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils, modifié par la loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes – Art. 67).

Si la loi a clairement fait levier et permis de faire progresser rapidement la part des femmes dans les conseils d’administration des entreprises du SBF 120 où l’on atteignait un taux de plus de 30 % il y a un an, le combat contre les inégalités est loin d’être gagné et requiert, alors même qu’une certaine « gender fatigue s’installe », de demeurer mobilisés. Car, dans les faits, la féminisation des conseils en deçà du SBF120 a peu progressé. De plus, l’effet d’aspirateur (ou d’ascenseur) espéré sur l’ensemble de la problématique de la mixité ne semble pas aller de soi : l’évolution lente de la composition des comités exécutifs et des comités de direction, ainsi que les inégalités salariales, le démontrent.

En moyenne, une seule femme par conseil d’administration

L’étude réalisée avec Karima Bouaiss, maître de conférences en finance, sur l’application de la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance a permis d’établir que sur les 341 sociétés relevant du champ d’application de la loi, soit 44 sociétés cotées hors SBF120 et 297 non cotées, le taux de féminisation était, en moyenne, de 15,5 % avec sur 2462 mandats d’administrateurs identifiés, 391 mandats attribués à des femmes. On est loin des plus de 30 % du SBF120 qui requiert, pour arriver aux 40 % requis, de recruter encore 165 administratrices, à hypothèse constante de la taille des conseils actuels, comme l’attestent les calculs effectués fin 2015 par le cabinet Deloitte.

Rentrons dans les détails puisqu’il est souvent dit que le diable s’y cache :

– La taille moyenne des conseils d’administration et de surveillance des sociétés est de 7,2 administrateurs : de l’ordre de 10,4 administrateurs pour les conseils d’administration et de 12,6 pour les conseils de surveillance des sociétés cotées contre 9,3 et 6,9 pour les sociétés non cotées (lire aussi la chronique « Femmes dirigeantes : ce que cachent les statistiques« ) ;

– On compte, en moyenne, seule une femme par conseil d’administration sur le périmètre étudié, et un taux d’environ 1,6 pour les conseils de surveillance des sociétés non cotées (contre 2,3 pour les sociétés cotées) ;

– Le taux de féminisation des conseils d’administration des sociétés cotées hors SBF120 est de 23,6 % et de 14, 2 pour les sociétés non cotées ; la moyenne s’établissant à 15,5 % ;

– 46 % des sociétés non cotées ne font siéger aucune femme, alors que les sociétés cotées hors SBF 120, ce taux n’est que de 5 % ; ce qui fait une moyenne de 41 % de sociétés où aucune femme n’a été nommée ;

– En excluant du périmètre ces 41 %, soit 139 sociétés ne faisant siéger aucune femme, le taux de féminisation des conseils d’administration et de surveillance faisant siéger au moins une femme est de 26% ; 31 % (100 sociétés) font siéger une femme, 16 % (56 sociétés) deux femmes, 5 % (17 sociétés) trois et 8 % (28 sociétés) plus de quatre.

On semble donc loin du compte. Dans ce contexte, il est peu probable que l’on arrive au taux voulu par la loi d’ici à quelques mois.

Un levier de performance

Les mentalités changent et il fait désormais consensus que le dirigeant doit pouvoir réfléchir à une composition idéale de son conseil en phase avec sa stratégie. Une équipe qui dispose de compétences diverses, d’une capacité à mobiliser les réseaux, de questionner… qui sera à la fois  gage de réussite et de performance, facteur de limitation des risques.

Dans ce contexte, les femmes ont un rôle à jouer particulièrement intéressant. On mettra en avant la diversité des parcours avec davantage de profils marketing, communication, RSE ou de juriste… Le complexe de « l’imposteur », qui les taraudent encore, fait qu’elles s’assurent d’être extrêmement compétentes quand elles arrivent aux postes de peur de ne pas être légitimes. En travaillant beaucoup, les femmes incitent leur entourage direct à en faire autant, ce qui crée une valeur ajoutée globale dans l’équipe. Les femmes qui font leur entrée dans les conseils d’administration ont également une « vision idéalisée » de leur mission, ce qui les incite à se dépasser pour donner du sens à leur mandat. Enfin, elles ont une conception moins verticale du pouvoir et privilégient la médiation à la confrontation, ce qui facilite les rapports humains au sein de l’équipe.

Plusieurs études récentes montrent également qu’elles sont particulièrement attentives à la prévention des risques, qu’elles ont tendance à privilégier l’augmentation des salaires sur celle des dividendes et qu’elles accordent à la RSE toute sa place dans la stratégie. 

36 % de revenus en plus

L’intérêt de cette mixité a été largement démontré. L’étude «The Gender Dividend», menée par le cabinet Deloitte, a établi que le travail en commun d’hommes et de femmes permet de mieux exploiter leurs expériences et leurs qualités complémentaires, ce qui favorise notamment l’innovation. Celle du MSCI, réalisée auprès de 4 000 entreprises, a elle révélé que les entreprises ayant les conseils d’administration les plus féminisés ont généré, depuis 2010, 36,4 % de revenus en plus que celles dont les conseils sont exclusivement masculins.

Notre étude établit à son tour que les 9 % des sociétés (soit 30 au total) qui font siéger 40 % de femmes dans leur conseil d’administration ou de surveillance obtiennent une performance exceptionnelle avec une rentabilité financière (ROE – Return on equity = rentabilité des capitaux propres) de plus de 20 % et une rentabilité économique (ROA – Return on assets = rentabilité des actifs) en moyenne de 8 %, contre 15,2 % et 7,2 % pour les entreprises n’ayant aucune femme dans leurs conseils.

Surtout de la cooptation

Les dirigeants se disent assez démunis. L’accès aux mandats d’administrateurs pour ce marché de la chasse de têtes en deçà des grandes sociétés cotées passe traditionnellement, en France, par la cooptation. Une très grande majorité des entreprises recrutent leurs administrateurs non pas à partir d’une sélection de candidatures mais de manière confidentielle par cooptation. Les conseillers sont sollicités, un peu au hasard. Or, les femmes ne sont le plus souvent pas dans ces réseaux traditionnels. De plus, le marché n’est pas rémunérateur, le montant moyen annuel des jetons hors SPF120 est de l’ordre de 10 000 euros, et dans un quart des cas, il est égal à zéro, autrement dit c’est du pro bono. Aussi, en bonne logique, les cabinets de chasse de tête ont fort peu investi le terrain.

Il appartient aux divers réseaux professionnels impliqués de se mobiliser pour sensibiliser les dirigeants et leurs conseils d’administration sur l’enjeu de cette mixité. Elle doit être perçue comme une opportunité de diversifier les talents, et non comme une obligation de se conformer à une loi. Faciliter la mise en relation entre des entreprises et des candidates, dûment sélectionnées par les réseaux professionnels féminins d’administratrices, apparaît être une piste intéressante. La Fédération des femmes administrateurs et ses partenaires ont lancé, avec l’ESSEC, le mouvement Carrefours des Mandats (en partenariat avec BPI France et le Medef). Des chambres de commerce et d’industrie ont déjà commencé à mobiliser leur écosystème à échelle locale. Le mouvement est enclenché, il faut maintenant le poursuivre.